La Bioéthique
La bioéthique est à la mode et c’est tant mieux. Mais de quoi parlons nous au juste ?
De quoi parlons nous, que recouvre la bioéthique ?
Bioéthique contient en fait deux mots. D’une part « bio » et de l’autre « éthique ».
« Bio » signifie « vie », « qui concerne la vie » alors que éthique, par le grec, nous apprend que cela concerne « la science des mœurs » , « qui concerne les moeurs ». Notons que éthique en grec correspond tout à fait exactement au mot morale (bien moins à la mode) qui dérive lui du monde latin , et qui concerne , lui aussi les mœurs. Mais que sont ces mœurs ? « des habitudes relatives à la pratique du bien et du mal» nous dit le petit Robert. Qu’est ce que le mal ? « mauvais, funeste , mortel » nous répond encore le petit Robert qui précise que mauvais « présente un défaut, une imperfection essentielle » sachant que l’imperfection est définie comme « un état inachevé »
La bioéthique serait donc le champ des comportements et des jugements relatifs à la pratique du bien et du mal sur tout ce qui concerne la vie.
Cela implique une prise de position pour juger.
Mais pour juger il faut des critères.
La bioéthique nous aide à porter un jugement, mais avec quels critères ?
Ces critères s’appliqueront à tout ce qui concerne la vie. Mais quelle vie ? Dans ce cas précis, on peut scinder en deux parties notre réflexion : d’une part nous avons une éthique écologique pour ce qui concerne la vie du monde dans lequel nous évoluons et d’autre part une éthique de la médecine et de la politique pour ce qui concerne la vie des personnes avec qui nous vivons y compris de nous mêmes.
De manière générale, en 2005 , on entend par bioéthique la « morale de la médecine » c’est à dire la possibilité d’établir des jugements et donc des critères sur le comportement et les actions des médecins par rapport à des personnes. C’est le cas par exemple autour de l’avortement, des bébés éprouvettes, de l’euthanasie et de l’utilisation éventuelle des embryons humains pour des fins thérapeutiques.
Si nous poursuivons notre raisonnement, nous sommes au stade ou il nous faut établir des critères de jugement par rapport à la vie de personnes humaines. La question peut paraître saugrenue tant il est vrai qu’à priori, « nous naissons libres et égaux » et qu’à ce jour le meurtre est plutôt totalement interdit dans toutes les sociétés .Il y a donc une sorte de jurisprudence , une sorte de droit « fondamental » à la vie , à la naissance . Nous connaissons tous les droits de l’homme mais avons aussi entendu parler des droits de l’enfant.
Nous sommes la au cœur du problème, la définition de droits, de critères.
Ces critères, à propos de notre vie , sont ils absolus ( et donc objectifs ) ou relatifs ( et donc subjectifs ) ? Cela dépend de ce que l’on appelle une personne.
Si ces critères sont à priori absolus à propos de la défense et de l’intégrité de la personne , ils ne sont peut être plus si absolus si l’individu ….n’est plus tout à fait une personne. Car en fait, soyons sérieux. Un vieillard impotent atteint au dernier degré d’Alzheimer ou bien un pré-embryon de moins d’une semaine après la conception peuvent ils être comparés à vous, moi ou nos adolescents ? En effet dans les deux cas, ils sont absolument dépendants des autres, ne parlent ni ne pensent, bref n’ont apparemment aucune autonomie. Mais finalement comment définissons nous une personne humaine, un individu de notre espèce, de notre race ?
Est ce quand cet individu est bien vivant et pourvu de toutes ses facultés ? Faut il instaurer un quotient génétique et intellectuel minimum pour être déclaré humain exactement comme nos voitures peuvent circuler si elles passent, en France , le contrôle technique ? Mais alors même l’enfant de 2 ans, même le retraité de 80 ans avec son arthrose et son commencement de surdité pourraient ne plus trop en faire partie ? Où mettre la limite ?
Comment alléger l’insupportable souffrance des proches d’un enfant à naître très handicapé ou d’un mourant ?
Le problème de l’humanité d’une personne est il le seul problème à résoudre?
Non. Il faut aussi dire que nous, les proches de ce vieillard ,les parents attendant le plus beau bébé du monde à qui on apprend brutalement que ce bébé sera très handicapé, nous souffrons terriblement à la fois de notre rêve cassé, de notre relation brisée et de notre impuissance totale devant cette situation de cauchemar.
En effet, la souffrance occasionnée par leur état (diagnostiqué handicapé avant la naissance ou dépérissant lentement et pour ses dernières semaines) est telle et si vive que l’on veut, et c’est bien logique, l’esquiver ou la diminuer le plus possible.
Comment diminuer notre souffrance et la leur ?
Bien sûr en les soignant, en étant présent. Mais aussi en évitant que cela n’aille trop loin ! d’où la possibilité de l’avortement dit « thérapeutique » qui va tuer l’embryon diagnostiqué comme très handicapé . D’où la demande d’euthanasie sur nos malades en phase terminale.
Est ce la seule solution ?
Revenons un instant à nos moutons, c’est à dire à la bioéthique . Que peut elle nous dire par rapport aux deux questions posées plus haut ?
a) un jeune embryon diagnostiqué très handicapé ou un malade en phase terminale avec peu de conscience est il encore une personne ? A-t-il encore sa dignité de personne ?
b) comment alléger la souffrance des proches ? Est-ce d’accélérer la mort de ces grands malades ?
Tentons donc de répondre à ces deux questions qui nous permettront de construire une « bioéthique » à usage politique.
Qu’est ce qu’une personne humaine ?
Il faut bien comprendre que la vie est plus dans le mouvement et dans le rattachement à l’espèce que dans la capacité instantanée à faire de grandes choses. La vie du fleuve est dans son mouvement, dans son flux. Arrête-le et il devient une mare. Il ne vous viendrait pas à l’idée de dire qu’un gland n’appartient pas à l’espèce du chêne. Est ce qu’un cerisier malade est moins un cerisier qu’un autre cerisier, sain, et qui porte plus de fruits. A la source du Rhône ou de la Seine, dites-vous à vos enfants que cette ridicule et minuscule source que vous pouvez détourner avec une pelle, n’est ni la Seine ni le Rhône , qui, c’est vrai, à Paris ou à Lyon, sont tout à fait majestueux et utiles pour le transport ? On voit bien que l’on mélange deux idées en une : l’identité liée à la capacité qui peut et l’identité qui est liée à l’appartenance à une espèce , à l’identité qui est « l’être », qui est maintenant facilement vérifiable par la génétique. On sait maintenant en effet avec certitude que lorsque une femme est enceinte, elle n’attend ni une fourmi ni un veau mais un petit de l’espèce humaine, qui, si il reste dans l’environnement propice donnera, sauf mort précoce de l’embryon, un bébé humain !
Cette vision de la personne par sa capacité plus que par son identité vient de loin. Le fameux « Je pense donc je suis » signifie aussi « Tu ne penses pas, donc tu n’es pas et je peux même t’empêcher de naître… ». Voyons les conséquences d’une telle pensée.
.Il y a déjà cinquante ans, en 1951 tout juste après la seconde guerre mondiale, un philosophe avait analysé cette tendance lourde de conséquence.
“Tout montre que, dans ce qu’on appelle bien prétentieusement la civilisation présente, c’est l’homme dont le rendement est objectivement discernable qui est pris comme archétype; c’est à dire, remarquons le bien, l’homme qui se trouve par son type d’activité être le plus directement assimilable à une machine… Si l’homme est pensé comme une machine, il est tout à fait normal et conforme aux principes d’une saine économie, quand son rendement tombe au dessous des frais d'entretiens, et quand il ne "“vaut"”plus la réparation c'est à dire l’hôpital) parce qu’elle serait trop onéreuse pour le résultat qu’on peut en attendre, il est strictement logique de le supprimer, comme on envoie à la ferraille un appareil ou une voiture hors d’usage, quitte à récupérer certains éléments qui peuvent encore servir (comme on a fait, si je ne me trompe dans le III° Reich en guerre pour la graisse des cadavres). Si tout cela nous paraît monstrueux et absurde, c’est que nous refusons d’admettre l’assimilation de l’homme à la machine; il y a la un postulat que nous rejetons spontanément avec horreur : c’est très bien mais cette réaction sentimentale est tout à fait insuffisante; il importe de se demander si elle peut se muer en pensée, autrement il sera vraiment trop facile, avec les doctrinaires de la nouvelle rationalité, de ne voir dans cette réaction sentimentale qu’une survivance, le dernier soubresaut d’une mentalité périmée.”
Gabriel Marcel, Les Hommes contre l’Humain, Editions du vieux colombier, 1951.
Comment passer du sentiment à la pensée sur ces questions ? C’est justement l’objet de la bioéthique.
Si nous décidons par exemple que l’appartenance à l’espèce humaine est liée à des critères de capacité, alors il faut les construire et se donner des limites en de ça duquel l’individu de l’espèce humaine face à moi , est ou n’est pas une personne…Essayez de tracer cette limite….C’est difficile . Pourquoi ?
Laissons une personne handicapée nous répondre :
« Tout bien considéré, l’être humain n’échapperait-il pas par nature à toute définition et à toute norme ? La beauté de chaque individu ne résiderait –elle pas précisément en sa singularité ? Je raconte souvent qu’à ma sortie de l’internat pour “ êtres différents, je m’étais livré à un jeu passionnant, une sorte de quête insolite: je voulais enfin découvrir l’être humain normal. Comme mes camarades ne l’étaient sans doute pas, j’imaginais intérieurement que, pour ma traque de l’objet convoité, j’aurais bien plus de chances à l’extérieur… A ce jour, je n’ai pas trouvé. Cependant, je reste d’attaque et suis disposé à examiner toute candidature avec l’assurance amusée de ne jamais parvenir à mes fins. “ » Alexandre Jollien, le métier d’homme, Le Seuil.
Eliminer la personne pour éliminer la souffrance… génère d’autres souffrances !
Finalement, peut on diminuer notre souffrance en éliminant le problème plus rapidement, c’est à dire l’enfant à naître diagnostiqué malade ou le proche mourant ?
Si l’on prend l’avortement d’enfants diagnostiqués handicapés, il faut évidemment reconnaître que la vie avec un enfant qui va développer tel ou tel handicap va être différente de celle que nous avions rêvée .L’avortement évitera, c’est sûr, de vivre avec un tel enfant . Mais qui connaît les souffrances psychologiques des femmes après l’avortement ? Ce que l’on appelle le syndrome post abortif… Qui leur redonne la joie de vivre quand la dépression post abortive les guette ? Qui connaît les couples déchirés et qui se séparent à cause d’un avortement ? Qui écoute les médecins qui ont la nausée de leurs actes ?
De plus, si l’on prend un exemple précis , le cas d’un enfant qui a une trisomie 21, peut on dire avec certitude que l’enfant sain qui serait né n’aurait occasionné aucune souffrance à ses parents ? Cela me fait penser à cette mère si durement touchée car son fils, qui avait brillamment réussi à rentrer à l’école polytechnique, était devenu paraplégique suite à accident durant un match de rugby ! Mais cela aurait pu être un accident de moto ou tout simplement autre chose… Si on avait dit à cette mère toutes les probabilités d’accidents pour son enfant sain, croyez vous qu’elle l’aurait gardé ? L’auteur de ce petit texte peut témoigner ici qu’un enfant trisomique change la vie, est plus fatiguant mais ne génère pas une souffrance beaucoup plus importante que d’autres et que cet enfant prend une vraie place dans la famille au point où il nous manquerait si on nous l’enlevait !
Que dire en conclusion ?
Nos désirs sont d’une puissance infinie. Nos désirs de bébés les plus beaux du monde et notre rêve d’un monde sans souffrance, surtout pour nous et nos proches. Nous sommes tous d’accords, y compris notre Etat, pour reconnaître l’absolue dignité de l’être humain, les droits de l’homme, etc… Mais dès que nous sommes confrontés à un problème important, notre désir, et c’est bien logique, veut éviter cet affrontement avec le réel et cherche à diminuer la souffrance intolérable qui brise d’ailleurs d’autant plus notre rêve que personne ne nous accompagne. D’où ce constat logique d’un philosophe : «… Les parents ne sont plus des sujets éthiques capables de recevoir l’altérité de l’enfant, mais des enfants eux-mêmes, désirant seulement qu’on satisfasse par n’importe quel moyen, à n’importe quel prix, leurs désirs. Ainsi la responsabilité est morte avec la destruction douce de l’interdit fondamental et absolu…» «… Le pouvoir médical sert un biologisme eugéniste sans éthique et coopère à l’abandon du statut du sujet éthique, puissance technique et scientifique…» Ph. Delfour , l’Humanité , 11 janvier 2002 La bioéthique est justement là pour donner une parole qui permette de guider dans ces temps ou la souffrance nous aveugle. Nous savons que l’homme est un homme nom d’un homme ! Nous savons de l’intérieur, que le rattachement à l’humanité ne peut pas venir de notre capacité à penser / écrire ou marcher car sinon, nous nous condamnons nous mêmes à proche échéance. Bref nous savons qu’au début de la vie ou à sa fin, nous sommes déjà et encore des individus humains et que nous leur devons cette considération absolue et que cette considération interdit certains gestes qui ont, on l’oublie trop souvent, autant de conséquences sur nous les soignants et les proches, que sur la personne que l’on tue.
Nous l’avons vu au début de ce texte , la bioéthique doit nous apporter des éclairages sur notre comportement par rapport à notre vie et nous empêcher de faire des choses mauvaises, funestes, mortelles ou conduisant à des états inachevés. Au niveau de la vie de notre environnement, nous commençons à bien percevoir que certains modes de production de notre civilisation ont des conséquences plutôt funestes. De même, au niveau de l’éthique de la médecine et de la politique humaine, est ce que priver de la vie un enfant à naître handicapé ou bien une personne en fin de vie ne les empêche pas de vivre leur vie de manière achevée, qui ne serait peut être pas à notre standard mais qui serait leur vie ?
To be or not to be ? Finalement, c’est toujours la question !
Pour plus d’informations :
Cet article s’inspire du livre « l’économie du silence », de Benoit Laplaize , Ed Anne Sigier.